
L’Éducation peut-elle lutter contre les populismes ?
En cette période sensible où la démagogie a le vent en poupe, cette table ronde animée par Judith Volcot prend tout son sens. Entourée de Madame Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale, présidente de France Terre d’asile, de Monsieur Nicolas Sadoul, directeur du camp des Milles -Mémoire et Éducation, de Madame Cécile Blanchard, rédactrice en chef des Cahiers pédagogiques et de Muriel Villemin, militante de Haute-Normandie venue pour rendre compte de l’expérience vécue par Monsieur Alhousseni Soumaoro, professeur et militant au syndicat Fep-CFDT Haute-Normandie, ces invités prestigieux se sont exprimés sur la place et le rôle de l’éducation dans la lutte et la prévention contre les mouvements populistes.

Comment définir le populisme ?
Comme l’a bien dit Madame Najat Vallaud-Belkacem, ce mot issu de « peuple » a une terminologie qui se veut plutôt positive, sauf que le populisme tel qu’il est en œuvre, se définit par un discours qui oppose « le peuple » aux « élites » et se nourrit d’idées conservatrices et réactionnaires.
« Même si l’Histoire ne repasse pas deux fois les mêmes plats », Nicolas Sadoul a établi une proposition scientifique qui permet de pointer un schéma récapitulatif du processus de montée du populisme au regard d’indicateurs de l’Histoire qui nous interrogent : un terreau de préjugés et de tensions sociales qui se nourrit de méfiance envers les institutions, l’émergence de l’extrémisme identitaire qui nous fait passer de la démocratie au régime autoritaire.
Il n’y a pas un populisme mais bien des populismes, passant par d’autres formes de radicalités. Cette tendance lourde qui conduit la démocratie à une majorité passive « reste un engrenage auquel on peut résister ».
Le rôle de l’Éducation ou comment l’école peut jouer un rôle clé pour éduquer à cette lutte contre les populismes ?
Comme l’explique Cécile Blanchard, même si c’est un sujet peu abordé dans les programmes, l’école peut contribuer à développer l’esprit critique et donner aux élèves le sens de la complexité et ce, dans toutes les disciplines scolaires : l’histoire-géographie et l’EMC, les sciences mais aussi le sport ou les lettres. Combiner l’interdisciplinarité en lien avec le corps enseignant et le personnel scolaire pour transmettre des outils intellectuels permet aux jeunes de remettre en question les discours simplistes ou manichéens et de leur enseigner les valeurs démocratiques pour leur faire vivre la tolérance et le respect des différences. Cécile Blanchard l’illustre par La mise en place de conseils coopératifs, la pédagogie de projet, l’éducation aux débats, les ateliers philosophiques… sont autant d’exercices d’apprentissage de la solidarité pour nos élèves.
Cependant, les limites de l’éducation dans cette lutte contre la montée des populismes sont là. En effet, l’école elle-même peut parfois reproduire des inégalités, qui vont nourrir le ressentiment capté par les populistes. L’impact de l’Éducation dépend de son contenu, de ses méthodes mais aussi du contexte social et politique.
Tous les enseignants aimeraient se saisir de ces questions mais ils sont confrontés à des programmes très chargés. Ne risque-t-on d’ailleurs pas, de ce fait, d’arriver à un épuisement des professeurs humanistes ? Pour Nicolas Sadoul, « nous devons plus que jamais participer à des collectifs […] et nous serrer les coudes ». Najat Vallaud-Belkacem reconnaît ce sentiment de burn-out très partagé par tous les humanistes (intervenants sociaux, enseignants…), face à la complexité du travail demandé. Mais elle aussi croit que l’« on retrouve de la force quand différents acteurs de différents champs se regroupent pour se sentir moins seuls », sans laisser de côté un partenariat essentiel avec les parents. Créer des ponts et des liens avec les familles permettra d’être plus forts pour faire bouger les politiques publiques.
Tous ces invités ont unanimement pu souligner combien l’éducation est un outil clé pour lutter contre le, les populismes. Elle nécessite des efforts concertés pour promouvoir l’esprit critique, la neutralité et les valeurs démocratiques. Clarifier ce qu’est l’École en la redéfinissant et lui donnant une priorité citoyenne permettrait qu’elle relève les défis et corresponde aux enfants qu’on veut laisser à notre monde. La République sociale a besoin de nous dès maintenant, car il est bien souvent « trop tard, trop tôt », surtout en cette période où les démagogues ont tant le vent en poupe.