
Comment redonner du sens à nos métiers ?
C’est dans le cadre d’une table ronde animée par Valérie Ginet que 3 invités ont exposé leurs points de vue, souvent convergents et particulièrement pertinents, sur une problématique qui nous concerne tous : comment redonner du sens au travail dans le monde de l’éducation ?

Le tour de table était composé de Maricel Rodriguez Blanco, maîtresse de conférences en sociologie à l'Institut catholique de Paris et directrice de la licence Sciences sociales à Rouen. Elle est aussi docteure en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales et politiste de formation ; de Catherine Nave-Bekti, secrétaire générale de la fédération CFDT Éducation Formation Recherche Publiques et de Camille Roellens, maître de conférences à l’Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspe) à l’université Claude Bernard Lyon 1.
Un cadre réflexif centré sur le travail des enseignants formateurs
L’organisation avait souhaité une table ronde qui ne porte pas sur les élèves et le système éducatif, même s’il s’agit d’une question sous-jacente qui constitue un cadre. En lien avec la thématique du congrès, il devait donc être question du travail des enseignants, des chercheurs, des formateurs et plus largement des équipes éducatives, car tous et toutes y sont confrontés, dans toutes les dimensions de leurs métiers.
Dans une actualité où l’éducation est malmenée et mal traitée depuis des années, les intervenants ont eu à mettre des mots sur l’aspiration à la qualité du travail, aux valeurs qu’il porte, sur ce qui fait sens dans nos métiers, sur la définition de ce que peut être un travail bien fait, émancipateur et enrichissant.
Quels constats sur le rapport des enseignants au travail ?
C’est en se demandant si le métier d’enseignant n’a pas rejoint ceux que l’anthropologue David Graeber appelle les bullshit jobs (métiers « à la con »), métiers vidés de leur sens, générateurs de frustration, voire d’une forme d’aliénation, que Valérie Ginet a interrogé les intervenants sur les constats que l’on peut tirer du métier d’enseignant à notre époque.
Pour Maricel Rodriguez-Blanco la question centrale est celle que la sociologue Sandrine Garcia nomme le « désenchantement ». En effet, les métiers de l’enseignement sont à fort potentiel RPS (Risques psycho-sociaux) à cause de la surcharge administrative, du manque d’autonomie, de l’épuisement professionnel. Ces travers apparaissent liés à une intensification du travail due à des principes managériaux néo-libéraux sous tendus par l’optimisation financière à tout prix – ce que l’on appelle parfois la gouvernance par le nombre. Globalement, les taches bureaucratiques extrêmement chronophages confèrent à rendre le métier parfois absurde. Pourtant des critères de satisfaction sont connus, parmi ceux-ci la rémunération, les perspectives de carrière et une meilleure reconnaissance sociale.
Rebondissant sur ces propos, Camille Roellens propose une philosophie de l’éducation estimant que la question de l’éducation a été mal posée. En effet, longtemps le métier d’enseignant a été importé d’autres bases sociales : religieuse (par l’idée de vocation), militaire (par le sens du devoir), affective (par l’aspect maternel). Ces paramètres dispensaient de faire appel à une forme de management. Par conséquent, on ne peut, a priori, plus, à notre époque, estimer « faire le plus beau métier du monde ». Cet intervenant de conclure, comme la précédente, que ce sont, entre autres, le faible niveau de salaire et la non-reconnaissance sociale qui finalement poussent les enseignants à adopter au travail une attitude similaire à celles d’autres professions.
Enfin, Catherine Nave-Bekhti prend la parole et, propulsant l’idée de vocation jusqu’à l’absurde, imagine que les enseignants pourraient demander à n’être pas rémunérés… Toutes les évolutions de l’appréhension du monde de l’enseignement semblent n’avoir pas été pensées dans le sens de l’intensification du travail, notamment via la politique de l’inclusion. Dans un autre registre, la transformation d’heures de poste et en heures supplémentaires engendre mécaniquement une baisse du temps de travail consacré à la concertation. Dans un autre ordre d’idée, les liens numériques avec les familles génèrent des soucis liés au droit à la déconnexion et bien évidemment le problème de la rémunération est à nouveau évoqué, cette fois-ci associé à la dégradation des conditions d’exercice et aux discours dégradants tenus par certains hommes politiques.
Quelles pistes envisageables pour donner du sens à l’enseignement ?
Sur cet ensemble de constats particulièrement dégradés, Valérie Ginet reprend la parole et propose trois indicateurs pour donner du sens au travail : l’utilité sociale, la cohérence éthique ainsi que la capacité de développement. Chacun des propose alors ses axes de réflexion.
Catherine Nave-Bekhti propose d’abord la potentielle application de principes pratiqués dans le syndicalisme comme recherche de solutions de proximité avant celles qui relèvent d’une interpellation ministérielle. Le dialogue professionnel, pour elle, doit d’abord s’inscrire dans le temps de travail, au sens le plus prosaïque du terme ; avant d’être supervisé. Dans le même ordre d’idée, la formation continue en « visio » gagnerait à disparaitre, car trop éloignée des problématiques de terrain. Enfin, une adaptation du système éducatif à la transition écologique lui semble une évidence.
Maricel Rodriguez-Blanco estime, quant à elle, qu’il faut impérativement recréer des espaces de discussion sur les pratiques, qui soient pris sur le temps de travail réel et non pas issus d’abstraites prescriptions imposées. Comme l’intervenante précédente, elle estime qu’il faut renforcer les pouvoirs des syndicats dont le rôle majeur consiste à visibiliser les situations réelles en passant du local au national, et non l’inverse. Enfin, elle pense positive la création d’espaces mixtes participatifs (enseignants / chercheurs).
Pour finir, Camille Roellens reprend le micro pour développer son argumentaire. Pour lui aussi, le cadre syndical permet une articulation entre un système « macro » et le travail au quotidien. Or, le système démocratique vise à l’inverse, cherchant à ce que chaque professionnel soit placé dans les meilleures conditions afin de produire les meilleures solutions pour le public. Le ridicule principe franco-français de la prescription conscriptrice (qui a déjà montré ses limites avec l’abolition du Service militaire) persiste encore à l’heure actuelle dans le « sanctuaire scolaire » ; quoi qu’en pense nos élites, un désir n’aboutit pas à une réalité. Celles-ci semblent oublier que l’enseignement se situe dans les métiers du « care » et que dans ce cadre, prendre soin de soi est un geste professionnel.
« Je ne peux pas vendre de l’échantillon humain si je n’en ai pas sur moi » (Camille Roellens)
Il faut absolument refuser des solutions magiques et des approches universelles (« mes chaussures ne pourraient pas aller à tout le monde ») car il y a nécessité d’abandonner certaines illusions et adopter une approche réaliste pour garantir un service public légitime.
Qu’en conclure ?
Et Valérie Ginet d’imposer ce qui pourrait paraitre un truisme mais qui s’avère une idée de bon sens au regard des propos tenus par les différents intervenants : l’école ne peut pas être la même partout, nous ne sommes plus sous la 3ème République quand l’objectif primordial de l’école était la création d’une unité nationale.