Grenelle de l’éducation : La Fep s’engage dans les discussions

Publié le 31/05/2021

On se demandait où il était passé, ce Grenelle qui devait nous concocter une consistante reconnaissance du métier d’enseignant… Il a reparu, ce 26 mai. Alors, tout vient à point à qui sait attendre ? Le temps de préparation augmenté comble-t-il pour autant toutes les attentes, qui étaient fortes, notamment en matière de rémunération ?

Gratitude exprimée et hommage rendu − à celles et ceux qui ont permis que « tous les élèves aillent à l’école » et ainsi de « passer le cap Horn » de la crise sanitaire −, le ministre de l’Éducation a égrené, lors de la conférence au CESE, les 12 engagements qui résultent de 438 propositions issues des travaux des différents groupes. Voyons si, malgré la sauce d’autosatisfaction dans laquelle baignaient les interventions d’entrée en matière qui ont précédé celle du ministre, le plat est suffisamment nourrissant et s’il y a de quoi faire une « révolution des ressources humaines ».

Revalorisation : pas de plan pluriannuel

Au chapitre de la revalorisation qui constitue le premier engagement, le ministre persiste à placer la prime d’équipement informatique annuelle qui n’est pourtant que la juste compensation d’une dépense régulièrement faite par les enseignant·es sans contrepartie depuis que le numérique a fait son entrée à l’Éducation nationale. Il y ajoute la participation de l’État à la complémentaire santé des personnels (15 € par mois en attendant une prise en charge de 50%), déjà actée dans le cadre de négociations Fonctions publiques. Quant à la prime d’attractivité qui favorise les débuts et milieux de carrière jusqu’au 7e échelon, elle est confirmée et a été versée avec le salaire de mai.

Personne ne s’en plaindra, mais les collègues plus ancien·nes dans le métier devront se contenter d’une promesse de revalorisation pour les années suivantes. Exit le projet d’une loi pluriannuelle qui l’aurait rendu certaine. Les bonnes intentions ne coûtent rien – Jean-Michel Blanquer a l’ambition de faire passer la France, dans 7 ans, dans le peloton de tête des rémunérations des pays de l’OCDE −, surtout quand on laisse le soin aux successeur·euses de les mettre en œuvre. Quand on sait qu’une des premières décisions de ce gouvernement a été le report d’un an de certaines mesures du dispositif PPCR mises en place par ses prédécesseur·es, l’invitation de Jean-Michel Blanquer ressemble à un « Ne faites surtout pas ce que l’on a fait ».

Et peut-on croire à la déclaration du ministre lorsque celui-ci prétend qu’aucun·e professeur·e ne gagnera moins de 2 000 euros en 2025 ? Net, brut ? Cela n’a pas été précisé…  Pour l’instant, la visibilité se réduit à la revalorisation pour 2022, et encore : on ne sait ce que donneront les discussions de ce mois de juin avec les organisations syndicales sur ce sujet. Celles de l’automne dernier concernant la revalorisation 2021 nous ont laissé un goût amer. Une partie des mesures (mesures catégorielles) ne concernait que les enseignant·es du public. Rien, par exemple, pour les maîtres délégués dont la rémunération frôle l’indécence et pour lesquels il y a urgence à compenser l’écart de salaire avec leurs homologues du public. Il y va de la survie du système de remplacement dans le privé sous contrat.

Une direction de l’encadrement…

Le deuxième engagement consiste à : « Donner à chacun la possibilité de faire connaître ses compétences et ses souhaits ». « Permettre à tous les personnels d’imaginer des progressions de carrière », « en prenant des responsabilités », dans le cadre d’une « gestion des ressources humaines de proximité ». 

Promotions et mobilités

Le troisième engagement doit « Permettre à chacun de devenir acteur de son parcours professionnel ». Il est question ici, d’une part, d’une accélération des promotions de grades (hors-classe et classe exceptionnelle) pour favoriser les milieux et fins de carrière et un accès facilité à des fonctions d’encadrement » et, d’autre part, de favoriser les mobilités : entrantes, avec une reconnaissance des acquis de l’expérience ; internes, avec notamment un passage possible du lycée professionnel au lycée général et technologique, et inversement ; et sortantes, avec la création d’un vivier de candidat·es à l’international.

Ces annonces ont une résonnance particulière pour la Fep-CFDT qui porte de longue date des revendications sur le sujet de la mobilité. En effet, actuellement, pour les enseignant·es du privé, les possibilités de reconversion et donc de mobilité sont très restreintes dans la mesure où elles·ils ne peuvent prétendre à tous les dispositifs juridiques existant pour les enseignant·es du public (changement de discipline, détachement, mise à disposition, passerelles privé/public). Ce seront donc des points à reprendre lors des discussions de juin.

L’accompagnement des professeur·es

Avec le quatrième engagement, il s’agit de « Personnaliser l’accompagnement des professeurs » et, pour cela, de faire évoluer les missions d’inspection. Caroline Pascal, cheffe de l’inspection générale, reconnaît, dans l’intervention qu’elle a faite, que le volet « évaluation » est actuellement plus développé que celui de « l’accompagnement ». Sont prévus la création et le développement de postes d’enseignant·es en service partagé et l’augmentation, pour le premier degré, ceux de conseiller·es pédagogiques. Tout ce qui peut aider les professeur·es dans leur mission ne peut qu’être reçu favorablement, à condition bien sûr que l’accompagnement s’effectue dans un réel climat de bienveillance et ne soit pas générateur de stress pour « l’accompagné ».

Par ailleurs est annoncée la création, dans chaque rectorat, d’un « carré régalien » afin notamment que les personnels confrontés à des difficultés en lien avec le non-respect des valeurs de la République, la radicalisation, des violences ou le harcèlement et le cyber-harcèlement sachent vers qui se tourner. Une façon de formaliser ce qui existe déjà.

Avantages sociaux

Le cinquième engagement propose de faire « Bénéficier de nouveaux avantages culturels et sociaux », grâce à la création de l’association PRÉAU, ce qui a été présenté comme l’équivalent de ce que propose un comité d’entreprise. Cela élargit les possibilités déjà offertes aux professeur·es (leur carte d’enseignant·es leur permettant la gratuité pour certains lieux culturels) : outre un accès facilité à la culture sous toutes ses formes, il est aussi question de tarifs avantageux pour les salles de sport, les résidences de vacances… Bien que cela ne soit pas explicitement précisé, on peut supposer que les enseignant·es du privé sont également concerné·es. Ainsi, les budgets d’action sociale des CSE des établissements pourraient bénéficier en totalité aux personnels de droit privé. Et être renégociés à la hausse pour davantage d’équité avec ce qui est maintenant prévu pour les professeur·es.

Un espace numérique « COLIBRIS »

Le sixième engagement veut « construire un lien direct entre les personnels et les services administratifs ». Le ministre entend alléger les lourdeurs pachydermiques par l’instauration de COLIBRIS, une application numérique qui permettra de joindre facilement la personne qui suit son parcours, de faire une centaine de démarches, telle une demande de congé parental. Avec à la clé des réponses rapides. La Fep-CFDT souscrit sans peine à cette mesure…

Valoriser la fonction de directeur d’école

Le septième engagement concerne la reconnaissance de la fonction de directeur·rice du premier degré du public, avec notamment la pérennisation de la prime de 450 euros brut, qui sera réévaluée en 2022. La Fep-CFDT souhaite que les chef·fes d’établissement des écoles du privé (exlu·es des mesures de revalorisation 2021) bénéficient aussi de primes équivalentes en reconnaissance de leur engagement, de la multiplicité et de la lourdeur de leurs tâches.

Autonomie

Le huitième engagement entend « Donner plus d’autonomie aux équipes enseignantes » du second degré « pour développer leur projets ». Daniel Pennac, qui faisait partie d’un groupe de travail et se trouvait dans le public lors de la conférence, a rappelé l’intérêt d’une pédagogie de projets pluridisciplinaires pour susciter l’adhésion des élèves. Cela n’est pas nouveau. La réforme du collège décidée sous le précédent quinquennat et abandonnée par le ministre actuel favorisait de telles démarches (EPI). Mais pour que ce genre de politique tienne, il ne suffit pas de pouvoir bousculer les emplois-du-temps, il faut des moyens, notamment pour la concertation des enseignant·es. Seront-ils accordés ? Il est aussi question de projet d’établissement avec un renforcement des collectifs de travail. Les enseignant·es seront encouragé·es à exercer des fonctions mixtes, notamment dans les domaines de l’inspection, d’appui au chef d’établissement et interventions dans les Inspé ou des fonctions de coordination transversale (suivi des élèves, harmonisation du contrôle continu…). Rien de révolutionnaire dans cela, puisque cette dualité des fonctions est déjà pratiquée dans le privé avec les responsables de niveau, les formateur·rices à l’Isfec, etc.

Pouvoir d’achat et bien-être au travail

Le neuvième engagement prévoit de « partager avec tous les personnels les évolutions du pouvoir d’achat et du bien-être au travail ». Un observatoire concernant ces sujets sera installé en ce mois de juin. Il doit « éclairer la décision publique et objectiver le débat sur les rémunérations et l’égalité hommes-femmes » (le DGRH, présent, a parlé d’un « plan national égalité action professionnelle femmes-hommes », dont la Fep-CFDT ne peut que se réjouir) et permettre de « bâtir progressivement une culture et une expertise communes sur les questions relatives à la rémunération et au bien-être au travail ». Le ministre parle de la mise en place d’un « baromètre » pour cette dimension bien-être au travail. Lors de l’une des interventions en amont du discours du ministre, Stanislas Dehaene, du conseil scientifique, a dit qu’un travail doit être mené sur la « notion de bien-être et de confiance en eux des enseignants ». Qu’en penser ? Cela se mesure-t-il et s’améliore-t-il de manière scientifique ? Les organisations syndicales, celles du privé aussi ?, appartiendront à cet observatoire qui sera utile pour atteindre le peloton de tête en matière de rémunérations, selon une précision du ministre.

Ressources humaines de proximité

Dans le dixième engagement, il s’agit de « gérer les ressources humaines au plus près des territoires » par la mise en place de feuilles de route RH académiques, reçues à la fin du mois de mai par les enseignant·es, qui matérialisent des plans d’action pour « mieux informer, mieux écouter, mieux orienter et mieux répondre aux personnels ». Elles seront actualisables chaque année. Le DGRH a parlé d’une « révolution des ressources humaines ». Cette mesure était déjà « dans les tuyaux » avec des académies pilotes pour la tester. S’il s’agit effectivement d’une avancée dont la Fep-CFDT se réjouit, il sera nécessaire d’accompagner cette mesure par une campagne de communication si l’on veut que l’application au privé sous contrat soit efficiente.

Politique de remplacement

Le onzième engagement entend « assurer une continuité pédagogique efficace ». Pour le 1er degré, il est prévu des moyens de remplacement accrus et de faire se rencontrer l’offre et la demande. Une application numérique est expérimentée afin de proposer un remplacement au plus près de son domicile et de ses besoins. Une idée à reprendre dans le privé sous contrat. La Fep-CFDT revendique en effet, depuis des années, la constitution d’un corps de titulaires remplaçant·es : rien ne vaut en effet, on l’a vu lors des différents confinements, les cours en présentiel.

Pour le 2nd degré, il s’agit, en s’appuyant sur la gestion de la crise, de proposer des cours en ligne, du travail en autonomie encadré par des professeur·es ou des assistant·es d’éducation. Des heures supplémentaires seront allouées pour les remplacements de courte durée. La Fep-CFDT y est opposée.

La formation continue

Le douzième engagement devra « faciliter l’accès à une formation continue davantage diplômante et certifiante », pour être plus à l’écoute des personnels et des priorités de l’Institution. Le ministre a cité l’exemple de « la formation à la laïcité qui fera l’objet d’une systématicité ». Jean-Marc Merriaux, quant à lui, lors d’une intervention qui a précédé celle du ministre, évoque l’utilisation de la plateforme Pix pour la certification des compétences numériques des enseignant·es. Des mesures concrètes seront prises, comme la création d’écoles académiques de la formation continue, du mentorat par les pairs pour les néo-titulaires… Tout ce qui va dans le sens de la reconnaissance des compétences des enseignant·es ou de l’acquisition de nouvelles est bon à prendre. Mais sur quel temps la formation continue est-elle prévue ? Pour la Fep-CFDT le temps de formation doit être un temps de travail et il convient aussi de bien réfléchir à la gestion des remplacements lors des absences ainsi qu’aux remboursements des frais annexes.

« Beaucoup de choses commencent aujourd’hui »

Jean-Michel Blanquer a conclu en annonçant que ces changements en engendreront d’autres. Il s’agit pour lui de donner du pouvoir aux acteurs et il se réjouit de la fin de « l’infantilisation » − nous aussi, mais est-on sûr que ce sera le cas ? Et au fait, qui a contribué à la créer ?