Retour

« Aujourd’hui, la société évolue plus vite que l’école »

Publié le 25/10/2021

Dans le cadre de la formation « agri » de Dourdan, Laurent Devilliers, assesseur du doyen de l’IEA (inspection de l’enseignement agricole) en charge de la pédagogie, est venu débattre avec les militants de l’évolution du métier d’enseignant en lien avec le développement de l’approche capacitaire et l’évolution de l’évaluation. Un moment de réflexion et d’échanges très enrichissant.

Fort sentiment d’inutilité, manque de reconnaissance, incompréhension des réformes pédagogiques, disparition des « sacro-saintes » épreuves terminales au profit du CCF ou du contrôle continu, difficultés relationnelles avec les familles ou même difficultés dans le face à face avec les élèves, notre métier d’enseignant évolue, c’est incontestable… « On peut voir que des cadres de références subsistent toujours, on passe tous par le cycle primaire avec la représentation de l’instituteur et sa fonction sociale au-delà de l’école, le maître dans la classe, le maître propriétaire du savoir. On a encore cette représentation qui a la vie dure… On exerce un métier qui a été vécu par tous, tout le monde est allé à l’école ». D’entrée de jeu, Laurent Devilliers a planté le décor du débat sur l’évolution du métier d’enseignant. Cet assesseur du doyen de l’inspection de l’enseignement agricole a accepté de venir échanger avec une trentaine de militants Fep-CFDT réunis en formation à Dourdan. Une démarche louable, car le syndicalisme ce n’est pas seulement être dans la revendication, mais aussi dans la réflexion sur l’évolution de notre métier.

Deux grands marronniers

Dans les enquêtes d’opinion, le sentiment d’utilité reste très fort chez les enseignants. Un sentiment d’utilité que l’on peut perdre rapidement en lien avec deux grands marronniers : « le niveau des élèves baisse » et « c’était mieux avant ». Cela peut conduire à de vraies situations de souffrance, car le rapport mimétique au métier est fort. « Aujourd’hui, la société évolue plus vite que l’école » note Laurent Devilliers. La représentation du maître a évolué avec le temps, c’est incontestable. « En venant sur le terrain de la discipline, on a créé des bases étanches entre les disciplines » explique Laurent Devilliers. Et puis, on est passé de la notion d’instruction à celle d’éducation qui est bien plus large, ce qui n’est pas anodin. « Cela implique des changements de missions assignées à l’école » précise-t-il. Dans les années 1980-1990, les réformes mettent l’élève au centre du système. En 1982, il y a eu la mise en place d’un enseignement par modules pluridisciplinaires et d’une approche systémique qui a permis d’intégrer des phénomènes plus larges autour de l’enseignement agricole. C’est un premier effet disruptif de l’approche disciplinaire. « On ne flèche plus les disciplines, car l’objectif est le traitement d’une question complexe en y entrant par sa finalité et ses enjeux plutôt que de le restreindre à des disciplines qui n’entreraient pas en jeu dans la question à résoudre » explique Laurent Devilliers. En 2009, il y a eu la RVP (réforme de la voie professionnelle) qui a fait évoluer la manière d’écrire et de rédiger les référentiels de diplômes. Puis, en 2018, il y a eu la loi du 5 septembre sur « la liberté de choisir son avenir professionnel » qui impacte beaucoup la rénovation actuelle de nos diplômes. En 2019, il y a eu la réforme du bac général et technologique (10 % de contrôle continu), puis en 2021, le développement du contrôle continu (40 % du bac). Mais, pour Laurent Devilliers, il reste « un angle mort très important : l’évaluation ». A ceux qui pensent que la valeur nationale du diplôme est faite sur l’épreuve terminale, Laurent Devilliers rappelle qu’en matière de notation et d’évaluation des épreuves terminales, il y a beaucoup à dire. « Il y a une grande hétérogénéité de notation d’une copie entre différents enseignants, de même pour un même enseignant qui, 6 mois après, ne met pas la même note à une même copie ». Alors, épreuves terminales vs contrôle continue : bonnet blanc ou blanc bonnet ?

Laurent Devilliers 2 (2)  

L’approche capacitaire au cœur des rénovations

Les diplômes évoluent aussi avec la modification de certaines politiques publiques, comme la loi du 5 septembre 2018 qui impacte profondément nos diplômes. France compétences (qui a repris le RNCP) définit des descripteurs de niveau et il faut s’y conformer (avec validation en Commission consultative paritaire) et tous les diplômes doivent être déposés avant janvier 2024 ! En parallèle, il faut prendre en considération la réforme de la voie professionnelle à l’Education Nationale. Tout cela permet de comprendre pourquoi on rénove les diplômes et comment on les rénove, le tout sans perdre de vue l’insertion professionnelle, car les emplois évoluent. En lien avec ces réformes, les codes du métier d’enseignant doivent évoluer, notamment avec le renforcement de l’approche capacitaire dans les rénovations, ce qui peut induire la perte de références qui ont fait le métier autrefois. « Si vous êtes enseignant de maths et que vous voulez faire un cours magistral de maths en CAP, vous allez vous sentir mal… Si l’enseignant n’a qu’un rapport exclusif à la didactique, il y a des risques à se sentir mal… » note Laurent Devilliers qui défend l’approche capacitaire. L’enseignant est un « passeur de savoir » et il ne faut pas chercher à se retrouver dans le modèle du maître d’école que l’on a connu.

Si l’approche capacitaire date de la RVP de 2009, la rédaction des référentiels en objectifs était un vrai frein à sa mise en œuvre. « Le rapport du CGAAER* qui a fait suite à la réforme de la voie professionnelle indiquait qu’il fallait se détacher de l’approche disciplinaire » souligne Laurent Devilliers. « Si on tombe dans le dogmatisme disciplinaire, on va dans le mur ». Si on prend l’exemple de la rédaction du référentiel du tronc commun des bacs pro, la complexité est l’hétérogénéité des situations sociales. L’approche capacitaire permet d’y répondre. Il faut faire une lecture inverse des choses en partant de l’évaluation. Il faut savoir pourquoi on fait les choses plutôt que de savoir comment on les fait. La rénovation du bac pro proposera une nouvelle structure des référentiels : un référentiel d’activités pour contextualiser ses enseignements, un référentiel de compétences qui liste des capacités et un référentiel d’évaluation qui définit les critères et les modalités. Il y aura des documents d’accompagnement qui indiqueront quels savoirs mobiliser pour l’atteinte des capacités, cela va laisser une liberté pédagogique plus grande qu’on ne pourrait l’imaginer.

Mais les résistances au changement sont fortes et, pour faire infuser l’approche capacitaire, il faudra passer par une phase de déconstruction de ce que l’on a connu. Laurent Devilliers précise que le dispositif « Cap éval 2 » ainsi que les sessions institutionnelles de lancement et les actions d’accompagnement thématiques pour les enseignants pourront y aider. Espérons que les chefs d’établissement comprendront bien l’enjeu de cette rénovation et de cette approche capacitaire et enverront nombreux les enseignants en formation….

*CGAAER : Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux