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Loi Immigration : l’enseignement supérieur privé en danger

Publié le 18/01/2024

Le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche est un monde où les enseignants et les étudiants circulent. Et c’est cette mobilité internationale qui fait sa force.

En 2021, 20 % des maîtres de conférences recrutés et 11% des professeurs d’université recrutés étaient de nationalité étrangère. Quant aux étudiants, si 8% des étudiants en licence sont étrangers, ils sont 15% en master et 38% en doctorat.

Les conséquences de la loi dans nos établissements

Dans nos établissements supérieurs privés, nous côtoyons nombre de collègues provenant de l’espace hors européen qui assurent les travaux de recherche et l’enseignement auprès de nos étudiants. Nombre de cours qui ne seraient, soit dit en passant, pas assurés si nos collègues étrangers n’étaient pas là, tant la pénurie d’enseignants chercheurs est importante dans l’enseignement supérieur.

La Loi immigration votée en décembre au Parlement est donc une véritable remise en cause de la diversité culturelle qui anime l’enseignement supérieur et donc de la mobilité internationale qui permet à nos étudiants de rencontrer des étudiants et des enseignants venant d’horizons divers.

Mais c’est aussi un gâchis énorme pour l’attractivité économique de notre pays : qui fera cours aux étudiants en amphi, salles de TD ou de TP ? Comment nos étudiants pourront-ils s’imprégner de l’interculturalité, dont les entreprises ont besoin, s’ils ne côtoient plus d’homologues d’autres continents ? Rappelons-nous les conséquences économiques désastreuses pour l’économie française de la fuite vers la Suisse et les Pays-Bas des Huguenots après la révocation de l’Edit de Nantes…

Et corrélation entre richesse du pays et accueil d’étudiants étrangers est toujours vraie : la France, 6e pays d’accueil d’étudiants étrangers est devancée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie ou l’Allemagne…

Et lorsque l’on décrypte les dispositions article par article, elles ont de quoi inquiéter :

ARTICLE 11 : Dépôt obligatoire d’une caution pour la délivrance d’une carte de séjour étudiant, retenue lorsque l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une décision d’éloignement. Une dispense peut être accordée par le ministre en cas de modicité des revenus et d’excellence du parcours scolaire ou universitaire.

ARTICLE 12 : Les étudiants étrangers, qui bénéficiaient d’une carte de séjour pluriannuelle pour la durée de leurs études devront désormais justifier annuellement du caractère réel et sérieux des études. A défaut, leur carte de séjour pourra leur être retirée.

ARTICLE 13 : Majoration des frais de scolarité des étudiants étrangers en mobilité internationale.

Katalin Karikó, dont les recherches portant sur l’ARN (Acide ribonucléique) ont été déterminantes pour la mise en place d’un vaccin, prix Nobel de médecine 2023, chercheur à l’Université de Pennsylvanie, avait passé le Rideau de fer pour fuir la dictature hongroise avec ses économies dans l’ours en peluche de sa fille ; Ugur Sahin, fils d’ouvrier arrivé de Turquie à l’âge de 4 ans et Ozlem Tureci, fille d’un médecin ayant quitté Istanbul, les « Curie allemands du Covid », fondateurs de BioNTech…

Ce qu’en pense la Fep-CFDT

Pour la Fep-CFDT, l’article 11 est absurde dans son principe. Si un étranger ne respecte pas une décision d’éloignement, récupérer une caution n’y changera rien. Mais surtout, cet article vient mettre une barrière financière à des jeunes étrangers qui souhaitent suivre des études en France. Enfin, il pose comme pré-requis qu’un étudiant étranger en France est un potentiel clandestin dans les années à venir. Ce faisant, il cultive une image fantasmée de l’immigration. Accessoirement, c’est un signe d’attractivité et de richesse de voir des étudiants étrangers suivre des études en France et y poursuivre ensuite leur parcours professionnel. La justification annuelle vient ajouter une démarche administrative qui, outre d’être superflue, accroît l’insécurité de ces personnes. Cette mesure paraît aberrante pour la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche français et contreproductive dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Quant aux conséquences pour les enseignants, elles ne seront visibles qu’à moyen terme : avant de devenir enseignants-chercheurs, nos collègues étrangers sont souvent venus en France pour intégrer un master, faire un doctorat ou un post- doctorat. Avec la loi immigration, c’est l’attractivité de la France des décennies à venir qui sera affectée. Alors que les besoins s’accélèrent dans la robotisation, que les Etats-Unis ont pris une avance considérable en Intelligence artificielle, en robotisation ou dans les grandes entreprises du numérique, la France ne peut pas se permettre de rejeter des étudiants et enseignants chercheurs qui deviendront, qui sait, des chercheurs de renom, voire, des prix Nobel…