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Prime de fidélisation : une démission trop précoce peut contraindre le salarié à la rembourser

Publié le 07/06/2023

Si les difficultés que connaissent certains secteurs à trouver de la main d’œuvre qualifiée devaient perdurer, les primes ayant vocation à fidéliser les salariés nouvellement recrutés pourraient très bien faire florès... Perspective d’autant moins absurde que la décision rendue le 11 mai dernier par la Cour de cassation est venue sécuriser l’usage que peuvent en faire les employeurs.

L’éclairage juridique ainsi apporté mérite d’être expliqué. Car à l’instar des clauses du contrat de travail, qui préservent les intérêts des employeurs tout en rognant sur la liberté du travail des salariés - clause d’exclusivité, clause de non-concurrence, clause de dédit-formation -, il est fondamental de bien en connaître le cadre juridique et les limites de mise en œuvre.  Cass.soc.11.05.23, n° 21-2.136, publié au Bulletin     

3 années de fidélité contre 150 000 €. Voilà, pour schématiser le deal qui semblait avoir été passé au moment de l’embauche d’un opérateur sur les marchés financiers par la société Tullet Prebon. Le contrat de travail alors conclu prévoyait, en son article 7.3, qu’une prime de ce montant, improprement qualifiée de « prime d’arrivée », serait versée au salarié dans les 30 jours suivant son entrée en fonction mais que « ce dernier devrait » la « rembourser en cas de démission dans les 36 mois suivants »

Même si nous n’étions pas tout à fait sur du « 3 années de fidélité contre 150 000 € », mais plus finement :

- soit sur une partie de cette somme en cas de démission du salarié avant l’écoulement d’un délai de 3 ans ;

- soit sur l’intégralité de cette somme en cas d’absence de démission du salarié avant l’écoulement d’un délai de 3 ans.

Ainsi, le salarié pouvait-il conserver 50 000 € s’il démissionnait au bout d’1 an, 100 000 € s’il démissionnait au bout de 2 ans…  

Donner c’est donner…

Si dans cette affaire un conflit s’est fait jour, c’est d’abord en raison de la mécanique contractuelle mise en place par l’employeur, qui prévoyait le versement d’une telle somme dès les prémices de la relation contractuelle. Et un remboursement total ou partiel si un départ anté-3e anniversaire de la prise de poste devait advenir… Or, un tel remboursement n’est jamais facile à envisager, a fortiori lorsque les sommes en jeu sont conséquentes !

L’employeur aurait sans doute été davantage inspiré de prévoir, par exemple, trois versements de 50 000 € étalés dans le temps : l’un après une année de présence et les deux autres, pourquoi pas, au deuxième, puis au troisième anniversaire de la prise de poste. Peut-être qu’une telle architecture, plus sécurisée juridiquement, n’aurait pas suffisamment répondu à l’objectif de fidélisation que l’employeur s’était assigné…

Il n’en reste pas moins que la solution retenue par l’employeur était juridiquement dangereuse. Tant et si bien que le risque contentieux y apparaissait en filigrane.

Et effectivement, un beau jour, le risque se réalise ! Un peu avant son 15e mois de présence dans l’entreprise, le salarié démissionne…  Et, par la suite, l’employeur ne manque pas de lui réclamer le remboursement de la prime de fidélité initialement versée, au prorata du nombre de mois de présence non-honorés : pas loin de 80 000 € ! Le salarié lui oppose une fin de non-recevoir. Faisant sienne l’expression « donner, c’est donner, reprendre c’est voler », il refuse catégoriquement de « rendre l’argent » !

Et au final, chose peu commune, c’est l’employeur qui saisit les prud’hommes afin de tenter de récupérer la partie de la prime de fidélisation qui, à l’en croire, lui était contractuellement due par son ex- salarié.

En CDI, chacune des parties peut reprendre à tout moment sa liberté

Mauvaise pioche pour l’employeur, qui se trouve débouté par les juges du fond. Pour la cour d’appel de Paris en effet, contraindre le salarié à effectuer un tel remboursement aurait ni plus ni moins consisté à « fixer un coût à la démission ». Ce qui, dixit les juges du fond, aurait été attentatoire « à la liberté du travail du salarié ».

Initialement consacrée par un texte réglementaire de 1791(1) dans le but d’assurer la protection des travailleurs contre l’emprise des corporations, la liberté du travail est aujourd’hui consacrée comme un principe fondamental du droit du travail tant par le législateur (2) que par le Conseil constitutionnel (3) et la Cour de cassation (4).

Débouté pour y avoir contrevenu, l’employeur décide de se pourvoir en cassation. Il fustige les juges d’appel et affirme haut et fort n’avoir eu aucune intention liberticide. La prime dont il avait fait bénéficier le salarié était en effet « indépendante de la rémunération de son activité ». Elle était simplement conditionnée à sa présence effective dans l’entreprise sur un temps donné. Rien de plus ! Aussi à l'en croire, et contrairement à ce qu’affirmaient les juges d’appel parisiens, une telle architecture n’était nullement génératrice d’un « coût à la démission ».

Et les arguments ainsi exposés font mouche… Devant la Haute-juridiction, les cartes se trouvent rebattues : l’arrêt d’appel est cassé et l’employeur finalement « validé » dans sa demande de remboursement !

Pourtant, à bien y regarder, il apparait que le positionnement des juges du fond a plus été précisé et assoupli que purement et simplement contredit ! Car si la Cour de cassation n’écarte pas, par principe, le remboursement, comme l’avait fait la cour d’appel de Paris, elle n’en libéralise pas pour autant l’usage. Pour elle, comme pour les juges du fond, la « liberté du travail du salarié » est en effet la boussole qui indique le Nord... Simplement, les juges du droit se montrent moins intransigeants, moins dogmatiques, que les juges du fond. Ils admettent qu’un tel remboursement puisse advenir dès lors qu’un certain nombre de conditions la préservant sont remplies.    

Des restrictions à la liberté au travail possibles… mais sous condition !

A l’appui de son arrêt de cassation, la Haute-juridiction vise en premier lieu le célèbre article L. 1121-1 du Code du travail selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

A bien lire cette disposition, l’on comprend que dans l’entreprise, les « libertés individuelles et collectives » ne doivent pas être vues comme intouchables. Elles peuvent très bien faire l’objet de restrictions. Mais seulement si de telles restrictions sont « justifiées » et « proportionnées ». Nous l’aurons compris, la liberté qu’une telle prime de fidélisation, couplée avec son potentiel remboursement, est susceptible de percuter est bien celle du travail. Et pour être considérée comme licite, l’une et l’autre de ces deux conditions doivent être satisfaites.

La restriction apportée à cette liberté doit donc être « justifiée » : tel était le cas en l’espèce, puisque l’article 7.3 du contrat de travail précisait expressément que le but recherché était de « s’assurer de la collaboration du salarié dans la durée ».

« Justifiée », mais également « proportionnée ». En clair, le remboursement partiel de la prime de fidélisation ne doit rendre possible que la réparation du préjudice subi par l’employeur, et pas davantage. Il ne doit pas non plus être de nature à rendre de facto impraticable la démission du salarié. Sur ce point, une analogie avec la clause dite de dédit-formation est possible.

Qu’est-ce qu’une clause de dédit-formation ? La clause de dédit-formation vise également à fidéliser le salarié (généralement) nouvellement recruté. Ce en lui imposant, à défaut d'une présence suffisante dans l'entreprise, de rembourser au moins en partie les frais de formation exposés pour lui par l'employeur.

Pour que de telles clauses de dédit-formation soient licites, l’atteinte qu’elles portent à la « liberté du travail du salarié » doit également être « justifiées » et « proportionnée ». C’est pourquoi elles sont généralement construites de la même manière que la prime de fidélisation sur la base d’ « un remboursement dégressif diminuant en fonction de la durée de l’engagement restant à courir », tout en veillant à ne pas avoir pour effet de « priver le salarié de la faculté de démissionner » (5).

Ici, et pour revenir à notre affaire, les juges du droit ont finalement pu considérer que la prime de fidélisation s’articulait plutôt harmonieusement avec un remboursement proportionnel susceptible de venir compenser le temps de présence minimum que le salarié n’aurait pas entendu honorer.

Ce qui, tout compte fait, permettait au salarié de conserver la partie de la prime de fidélisation correspondant à son temps de présence effective dans l’entreprise. Et à l’employeur de ne porter atteinte à sa liberté au travail que de manière « proportionnée », rendant ainsi recevable son exigence de remboursement.

 

 

(1) Art. 7 du décret d’Allarde des 2-17.03.1791 dispose qu’ « il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier, qu’elle trouvera bon ».

(2) Art. 431-1 C. pén.

(3) Décision du 28.05.83

(4) Cass. soc., 19.11.96, n° 94-19.404

(5) Cass. soc. 17.07.91, n° 88-40.201 : « les clauses de dédit formation sont licites dans la mesure où elles constituent la contrepartie d'un engagement pris par l'employeur d'assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective et dans la mesure où elles n'ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner ».

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