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Procédure accélérée au fond : l’action de la CFDT préserve le droit des salariés à agir

Publié le 15/01/2020

Le référé en la forme n’est plus,vive la toute nouvelle procédure accélérée au fond qui lui a succédé le 1er janvier 2020 !

C’est un décret publié à quelques encablures des fêtes de fin d’année qui est venu parachever un processus de réforme initié quelques mois plus tôt via la loi de réforme de réforme pour la justice. Jusqu’aux derniers jours de l’année 2019, la CFDT s’est fortement investie pour que, dans ce cadre procédural nouveau, le droit des salariés à agir en justice soit préservé dans son effectivité. Ce n’était pas gagné d’avance, mais notre conviction profonde a fini par convaincre la Chancellerie à bouger les lignes (Décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019).

L’occasion pour nous de faire le point sur les contours de la procédure nouvelle.

  • Aux sources de l’évolution

La notion désormais ancienne de « référé en la forme » était source de confusion, puisqu’il ne s’agissait pas en tant que tel d’une procédure de référé, mais bel et bien d’une procédure au fond. Qui plus est, elle figurait aussi dans de nombreux textes (pas tous inhérents au droit du travail) sous des libellés divers et variés. Ainsi était-elle dénommée parfois « en la forme des référés », parfois « référé en la forme », parfois autrement …

Un tel état du droit n’était guère satisfaisant. Aussi n’était-il pas tout à fait incongru d’envisager de le faire gagner en clarté et en lisibilité. Et lorsque le temps de réformer la justice fut venu, c’est précisément ce que le législateur a souhaité faire en autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnance « les mesures relevant du domaine de la loi nécessaire pour modifier les dispositions régissant les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires aux fins de les unifier et d’harmoniser le traitement des procédures au fond »(1).  

Dès l’été 2019, le Gouvernement s’est saisi de la balle que lui avait envoyé le législateur en modifiant par ordonnance un certain nombre d’articles qui, dans la partie législative du Code du travail (notamment), prévoyaient qu’il soit fait recours à une procédure faite « en la forme des référés » afin les faire basculer vers une nouvelle procédure finalement baptisée « procédure accélérée au fond » (PAF)(2).

Le rythme était soutenu, et il devait impérativement l’être, car le législateur avait lui-même décidé que la toute nouvelle PAF devait être opérationnelle dès le 1er janvier 2020.

A ce stade, nous n’étions pas encore tout à fait au bout, puisqu’il restait encore à envisager la déclinaison réglementaire de la procédure nouvelle.

  • La (très mauvaise) surprise du projet de décret

C’est à l’occasion d’un Conseil supérieur de la prud’homie (CSP) réuni en urgence le 20 novembre 2019 que le projet de déclinaison réglementaire de la PAF nous a été dévoilé. Et sur le fond, disons-le, de nombreuses orientations du texte nous convenaient bien, dans le sens où les caractéristiques du « référé en la forme » subsistaient : composition de la formation, oralité de procédure, ou bien encore caractère exécutoire « par provision » des décisions rendues.

Mais un point, et pas des moindres, demeurait pour nous inacceptable. Il s’agissait des modalités de saisine de la juridiction prud’homale. En effet, si en matière de « référé en la forme », le justiciable avait le choix entre agir par « requête » ou agir par « assignation », tel ne devait plus être le cas en matière de PAF où, sous couvert de l’exigence d’« harmonisation » et d’« unification » portée par le législateur, il était prévu de ne faire subsister que la seule voie de l’« assignation ».

 

Mais finalement, en quoi la différence entre « requête » et « assignation » est-elle fondamentale ? 

La « requête » consiste, pour le demandeur, (aux prud’hommes, dans la très grande majorité des cas : le salarié) à s'adresser directement au tribunal afin de lui demander de convoquer les parties. Cette démarche est gratuite et ne contraint pas le demandeur à recourir aux services d’un huissier de justice.
L'« assignation » consiste, pour le demandeur, (aux prud’hommes, dans la très grande majorité des cas : le salarié) à citer son adversaire à comparaître devant un tribunal. Elle ne peut être adressée par le demandeur au défendeur que par l'intermédiaire d'un huissier de justice.

 

Aussi, ne permettre aux salariés d’agir que par la seule voie de l’« assignation » aurait eu de (très) graves conséquences quant à l’effectivité de leur droit à agir en justice. D’abord, parce qu’elle aurait induit un coût qui (dans un 1er temps au moins), aurait systématiquement pesé sur les épaules des salariés. Ensuite, parce qu’elle aurait été génératrice de délais supplémentaires parfois bien difficiles à supporter par le salarié demandeur.

Nous y reviendrons dans les exemples à suivre… Cette difficulté aurait d’ailleurs été accentuée par le fait que les huissiers de justice ne pratiquant finalement que peu la matière prud’homale, auraient été bien difficile à trouver.

Au final, le risque de déperdition en terme d’accès des salariés à la justice prud’homale aurait été majeur. A plus forte raison d’ailleurs du fait de la nature même des contentieux relevant de la PAF.

Prenons deux exemples pour bien nous faire comprendre.

1er exemple : en cas de refus d’octroi par l’employeur d’un congé autre que les congés payés, le salarié peut agir aux prud’hommes via la PAF. Or, pense-t-on sérieusement qu’un salarié qui se serait par exemple vu refuser la prise d’un congé pour évènements familiaux suite à la perte d’un proche (3) aurait vraiment fait valoir ses droits aux prud’hommes s’il avait dû au préalable - et dans de telles circonstances - se mettre en recherche d’un huissier de justice d’accord pour assigner et dont il aurait dû assumer la charge ? 

2è exemple : en cas de délivrance par le médecin du travail d’un avis d’aptitude / inaptitude, le salarié comme l’employeur peuvent, de la même façon, agir aux prud’hommes via la PAF. Or, pense-t-on sérieusement qu’un salarié qui se serait vu délivrer un avis d’aptitude ou - plus vraisemblablement d’inaptitude - aurait eu le temps, en cas de contestation, de recourir aux services d’un huissier de justice alors que les textes le contraignent à agir aux prud’hommes sous 15 jours (4) ? Perspective d’autant plus improbable qu’au-delà de cette contrainte de temps, ce salarié, nécessairement fragilisé dans sa santé et dans ses finances, aurait également eu à s’acquitter de frais d’huissier qui se seraient alors ajoutés à ceux qu’il a déjà avancé pour régler la provision des sommes dues au médecin inspecteur du travail au titre de l’expertise…

  • Notre positionnement exprimé en CSP et notre intervention auprès du garde des Sceaux   

En CSP, nous sommes donc intervenus pour vigoureusement dénoncer ce passage obligé par l’«assignation » et pour mettre en exergue les funestes conséquences qu’il ne manquerait pas d’avoir sur la capacité effective des salariés à agir en justice. Nous avons plaidé sur ce point précis pour que le souci d’«harmonisation » et d’«unification », aussi légitime soit-il, n’emporte pas sur son passage la spécificité de l’action prud’homale. Mais notre refus d’un alignement non suffisamment réfléchi des règles de saisine de la juridiction du travail sur le droit commun, s’il a à cette occasion été poliment écouté, n’a pour autant pas vraiment été entendu.

Aussi avons-nous pris le parti d’interpeller directement Madame Nicole Belloubet et lui demandant expressément d’infléchir sa position en permettant qu’aux prud’hommes, les justiciables puissent déclencher la PAF, soit par « requête », soit par « assignation »

Techniquement, apporter un tel correctif n’avait rien de bien compliqué. Il suffisait de rebrancher le nouvel article R. 1455-12 qui, au sein du Code du travail, était amené à régir la PAF avec l’article R. 1455-9 de ce même Code qui, sous l’empire du « référé en la forme », offrait déjà au demandeur le droit de recourir soit à la « requête », soit à l’«assignation ».

Et finalement, après la déclaration de Nicole Belloubet se disant « très sensibles aux arguments » que nous avions avancés, l’écriture du décret s’est effectivement trouvée corrigée dans le sens que nous souhaitions.

Les textes réglementaires ouvrent donc finalement la voie à une saisine des prud’hommes dans le cadre de la PAF, soit par « requête », soit par « assignation » (5). 

Avec pour salutaire bénéfice une préservation de la capacité des salariés à agir aux prud’hommes…

 


 

 (1) Art. 28 de la loi n° 2019-222 du 23.03.19.

 (2) Art. 15 de l’ordonnance n° 2019-738 du 17.07.19.

 (3) Art. L.3142-1 et s. et R. 3142-1 C.trav.

 (4) Art. R.4624-45 al. 1er C.trav.

(5) Art. 10 du décret n° 2019-1419 du 20.12.19.