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La preuve de la discrimination devant le conseil de prud'hommes

Publié le 03/07/2023

"Ne pas pouvoir prouver son droit équivaut à ne pas avoir de droit" est un adage qui prend tout son sens en matière de discrimination. Fondamentale, la preuve est la pierre angulaire de l'exercice des droits de la victime. Il est donc primordial de s'y attarder lorsque l'on veut construire un dossier devant les prud'hommes, d'autant plus que les règles en la matière sont particulièrement protectrices des salariés victimes.

La charge de la preuve : qui démontre quoi ?

S'intéresser à la charge de la preuve revient à définir le rôle de chacun devant le conseil de prud'hommes en cas de discrimination au travail. La charge de la preuve en la matière est allégée par le Code du travail et son article L.1134-1 : le salarié qui s’en estime victime présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.

L’employeur, lui, aura à prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, lesquels sont étrangers à toute discrimination.

En pratique, cela revient pour la victime à apporter des éléments de faits qui puissent former un doute raisonnable dans l'esprit du juge quant à l'existence de la discrimination. On recherchera des modifications du poste de travail, la non-attribution de primes, un ralentissement dans l'évolution de carrière...

La protection accordée à la personne qui témoigne ou relate une discrimination

La rupture du contrat en représailles pour avoir témoigner ou relater de bonne foi une discrimination subit par un collègue est nulle (1).

La discrimination est sanctionnée pénalement, à ce titre les règles protectrices des lanceurs d'alerte sont applicables à toute personne "qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi" des informations portant sur un délit.  

Comment rapporter la preuve ? 

La comparaison entre salariés n'est pas nécessaire 

La comparaison entre salariés ou candidats à un emploi n’est pas nécessaire, bien qu’elle puisse s’avérer utile. Cette règle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (3).

Le juge n'a pas à comparer la situation des salariés in concreto puisque la comparaison peut se faire en référence à un standard.

L'obtention de la preuve 

La recevabilité des preuves 

Devant le Conseil de prud'hommes, la preuve est libre tant qu'elle est obtenue loyalement. Autrement dit, elle ne doit pas porter d'atteinte à la vie privée de la personne concernée. 

Un moyen de preuve qui porterait ainsi atteinte à la vie privée peut être recevable si l'atteinte est proportionnée au but poursuivi.

Néanmoins, il faut garder à l'esprit que l'irrecevabilité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats (4).

Le cas des témoignages anonymes

La Cour de cassation admet les témoignages anonymisés (5) contre le salarié accusé de harcèlement moral. C'est le fait, pour une partie, de se procurer un témoignage qui sera ensuite rendu anonyme devant le Conseil de prud'hommes.

La preuve par témoignage anonymisé permet aux salariés de se livrer sur ce qu’ils ont vécus sans craindre de mesure de rétorsion de la part du harceleur.

La preuve ainsi obtenue doit nécessairement être corroborée par d’autres éléments devant le conseil de prud’hommes, il vaut mieux ne pas compter uniquement sur celle – ci. 

La méthode Clerc 

La méthode du panel utilisée en matière de discrimination syndicale, dite Méthode Clerc, permet de mettre en évidence les écarts de progression de carrière entre salariés dans la même situation ou dans une situation comparable. Elle consiste en la création d’un panel à savoir une liste de salariés embauchés à la même époque et placés dans une situation similaire ou comparable au salarié visé.

Une action en justice dite référé probatoire (Art. 145 du Code de procédure civile) permet d'obtenir la communication des bulletins de salaires des collègues ayant une situation similaire ou comparable  avant de saisir le tribunal pour faire reconnaitre la discrimination. 

L'emergence de la comparaison statistique comme moyen de preuve

L’utilisation de la comparaison statistique des profils des candidats est possible. Lorsqu’un candidat s’estime injustement écarté du processus de recrutement, il peut tenter de mettre en perspective les profils des candidats embauchés en CDI et ceux écartés du recrutement. Le but ici est de laisser supposer l’existence d’une discrimination à l’embauche. La Cour de cassation s'est penchée sur la question pour la première fois dans un arrêt du 14 décembre 2022 (11), facilitant ainsi l’obtention de la preuve.

En pratique, il peut s’agir d’une analyse statistique de l’origine des noms des salariés en CDI de l’entreprise. Le but du salarié sera alors de prouver l’existence d’une discrimination systémique à l’embauche. C’est ici une reprise de la jurisprudence Enderby (12) de la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd’hui Cour de Justice de l’Union européenne), où dans un arrêt de 1993, la juridiction admettait déjà la preuve statistique.

Une proposition de loi sur la discrimination 

Une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques prévoit plusieurs mesures en ce sens.

Son principal apport est la création d’un service sous l’autorité du Premier ministre attaché à la connaissance, la prévention et la correction des situations de discrimination.

Ce service aurait pour mission de conseiller les personnes qui souhaiteraient faire des tests individuels de discrimination, de réaliser lesdits tests sur demande ainsi que de réaliser et financer des tests de discrimination statistiques.

L’organe rendrait public l’ensemble de ses tests.

(1) Art. L.1132-3-3 C.trav et II de l’article 10-1 de la loi n°2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. 

(2) Cass. soc., 19 avril 2023, n°21-21.053.

(3) Cass.soc., 8 mars 2023, n°21-17802.

(4) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849.

(5) Cass. soc., 19 avril 2023 n°21-21.310.

 

Pour aller plus loin : 

- L. 1132-1 du Code du travail (Définition de la discrimination)

- Fiche La discrimination au travail