Le numérique éducatif va-t-il changer l'école ?

Publié le 01/10/2020

Le 24 septembre, Radio France, le réseau Canopée et la MGEN organisaient une conférence : Et si on changeait l’école ? Parmi les sujets abordés, le numérique à l’école et les bouleversements qu’il entraîne. La problématique du débat était : le numérique apporte-t-il à l’école ? Avec, d’un côté, le point de vue positif d’une enseignante et, de l’autre, celui, très négatif, d’un chercheur et essayiste.

Les échanges sont vifs entre Sophie Guichard, professeure agrégée de mathématiques et créatrice de mathenvideo.fr, et Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l'Institut CNRS des Sciences cognitives de Lyon, auteur de La Fabrique du crétin digital1, prix Femina essai. Michel Desmurget est un lanceur d’alerte. Leur thème de prédilection ? Le numérique éducatif qui s’invite en force dans les écoles. Sans réflexion, selon Michel Desmurget.

2,5 milliards. C’est le budget de l’Éducation Nationale dédié au numérique. Avec un manque de transparence sur les enjeux. Michel Desmurget interroge : est-ce pour faire comme aux États-Unis, c’est-à-dire avec moins de profs ? L’université de San José, aux Etats-Unis a constaté les ravages de Mooc et les a suspendus face à l’énorme taux d’abandon. Il met en garde et rappelle le nombre de contrats passés avec de grosses maisons d’édition pour implanter des logiciels dans les écoles, et notamment d’évaluation… De quoi interroger la domination des entreprises privées.

Le numérique amène à la créativité

Sophie Guichard, elle, pondère le débat face au « coup de gueule » de Michel Desmurget sur le plateau. Elle explique comment elle crée un nouveau dispositif pédagogique avec ses vidéos. Et parle de son investissement… en temps. Autonomie, responsabilité, coopération, gestion de l’hétérogénéité… ont orienté ses réflexions pédagogiques. « Le numérique amène à la créativité et oblige à élaborer différents scénarios pédagogiques : classe inversée, numérique... » Elle parle de sa place qui a changé : de meneuse, elle est devenue accompagnatrice. Le numérique transforme l’ambiance de la classe. Des formes de coopération s’y développent. Le numérique invite à lâcher prise dans ses habitudes pour permettre aux élèves de prendre toute leur place et d’investir différemment leur formation.

« On balance des tablettes dans les écoles »

Michel Desmurget n’est pas de cet avis. « Le rapport de la Cour des comptes sur le numérique est accablant : on balance des tablettes dans les écoles et puis... rien.» Le bilan de la mise en œuvre ? Décevant. Si les investissements publics en faveur du numérique ont progressé, les conditions de déploiement sont loin d’être réunies : la connexion des établissements est encore insuffisante et, dans bien des cas, inexistante ; de fortes inégalités d’équipement des classes et des élèves demeurent entre les territoires. L’offre de ressources numériques, abondante et souvent innovante, n’est pas organisée. Bref, les critiques sont nombreuses, mais la prise de conscience semble faible. 

 « Les professeurs ont bien du mal à donner du sens aux outils numériques », rappelle Michel Desmurget, qui salue au passage le travail remarquable de Sophie Guichard, mais aussi sa singularité. Cette professeure sait coder et a construit son site internet ! « La plupart des enseignants ne savent pas se servir des outils », poursuit M. Desmurget qui pointe au passage le manque de formation continue. « Il y a une injonction des enseignants à se former eux-mêmes ». Et les élèves ? « Le confinement a démontré qu’ils avaient des failles en matière d’utilisation du numérique ». Certains ne parviennent pas à envoyer une pièce jointe. Ce sont des digital natives, mais ils ne savent pas travailler avec le numérique. Cela pose la question des programmes qui ne les accompagnent pas assez dans cette révolution. Et les ENT ? Ils sont dépassés. Les enseignants préfèrent d'autres outils pour travailler de manière collaborative avec leurs élèves ».

Michel Desmurget s’en prend à la dictature de l’opinion (le numérique ? c’est bien, c’est l’avenir !) et aux lobbies du digital. Sa conclusion : « Les écrans sont un désastre. » À méditer, et surtout à repenser de fond en combles…

  1. Éditions du Seuil, 2019.