“Une société ne peut fonctionner avec la croissance économique pour seul indicateur” abonné

La situation de l’emploi et les crispations sociales obligent à opérer des choix radicaux. Pour sortir de la crise, le secrétaire général de la CFDT appelle à agir vite et penser loin. Interview.

Par La rédaction— Publié le 21/09/2020 à 13h26 et mis à jour le 14/01/2021 à 13h59

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Cette rentrée sociale s’inscrit dans un contexte inédit. Comment l’abordes-tu ?

On savait que la rentrée serait difficile. Elle est en fait chargée d’incertitudes, concernant le rebond de la crise sanitaire, notre retour au travail dans des conditions particulières, ce que sera la situation de l’emploi dans une semaine ou un mois. On frôle les 400 plans sociaux, et les annonces qui se succèdent (Airbus, Bridgestone, Alinéa…) ne sont que la face émergée de l’iceberg. Derrière, il y a des milliers de sous-traitants qui sont menacés. Ces incertitudes pèsent lourdement sur le climat social et sur notre capacité collective à gérer l’urgence. Notre modèle social fait que l’État a eu les moyens d’intervenir rapidement, en activant le chômage partiel, en aidant les entreprises – ce qui a permis d’amortir le choc. Mais le plus dur arrive. Et il n’y a qu’une manière d’agir : c’est de mettre les choses sur la table. C’est ce que l’on a encore beaucoup de mal à faire dans ce pays.

Dans ton livre Sortir de la crise, tu appelles à « agir vite » et à « penser loin » en se fixant des grandes priorités pour l’avenir. Le plan de relance répond-il à ce double défi ?

Il coche un certain nombre de cases sur le soutien à l’économie et, dans une moindre mesure, à l’emploi. Il faut être réaliste : on ne peut pas être contre les aides aux entreprises dans un certain nombre de secteurs si on veut que l’économie reparte. Sur la question écologique, il impulse une dynamique. Mettre 10 milliards d’euros dans la rénovation énergétique des logements et les mobilités douces (avec la modernisation du ferroviaire), ce n’est pas rien. Mais une société ne peut fonctionner avec la croissance économique pour seul indicateur. Dans un pays qui compte plus de 10 millions de personnes en situation de pauvreté, ce n’est pas tenable ! Il faut ajouter un soutien à la demande en direction des ménages les plus modestes, avec la mise en place d’un chèque relance – et ne pas oublier les jeunes, premiers touchés par la crise.

Il faut aussi que les entreprises acceptent, en contrepartie des aides qui leur sont versées, de discuter de la répartition de la richesse et d’une gouvernance qui laisse toute sa place aux représentants des salariés. La CFDT demande un avis conforme du comité social et économique quant à l’utilisation des aides versées aux entreprises. C’est l’essence même de ce que doit être un dialogue social constructif. 

Existe-t-il un double discours du gouvernement à propos du dialogue social ?

Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement ne peut pas inciter les entreprises à négocier des accords d’activité partielle de longue durée et, dans le même temps, freiner toute velléité de dialogue social en favorisant la décision unilatérale de l’employeur. Écrire dans un décret que les entreprises pourront ne pas rembourser les aides versées si la situation est dégradée est totalement absurde ! Au-delà de l’effet d’aubaine, le risque de frilosité quand il s’agit de s’engager dans des accords est réel. Il faut laisser les équipes négocier des accords là où il y a des problèmes durables d’activité, pour obtenir des dispositifs de formation et maintenir l’emploi et les compétences partout où cela est possible.

Les soignants ont été applaudis pendant le confinement. Derrière, la crise a également mis en lumière les salariés en première ligne, dont les métiers sont peu reconnus. Ce sont les oubliés de la relance ?

Il aurait dû y avoir une marque de reconnaissance, d’une manière ou d’une autre, pour tous ces travailleurs dont de nombreux travailleurs pauvres. Ce n’est pas le cas, et je le déplore profondément. Les soignants ont obtenu avec le Ségur des avancées qui sont palpables. Les autres travailleurs en première ligne – je pense aux transports, aux commerces, à la gestion des déchets… – peuvent légitimement avoir le sentiment qu’on se fout de leur gueule. Si on ajoute à cela une forme de trahison de la parole publique concernant le décret de reconnaissance de la Covid-19 en maladie professionnelle, et le rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires… On a là tous les ingrédients d’une fracturation durable de la société. On ne peut pas se le permettre.

Justement, dans la période, certains espéraient un front syndical uni. La CFDT fait le choix d’une mobilisation de rentrée en proximité. Pourquoi ?

Compte tenu du contexte et de la diversité des situations, les revendications à porter sont plus dans les entreprises qu’à l’échelle nationale. Cela ne veut pas dire que l’on met de côté notre capacité d’indignation. Mais l’indignation, les salariés ne nous ont pas attendus pour l’exprimer dans les boîtes. Demandez donc aux salariés de AAA [une entreprise du secteur de l’aéronautique] qui étaient en grève pour réclamer la négociation d’un accord APLD ou aux militants d’Auchan, qui demandent des reclassements à l’intérieur du groupe plutôt qu’un plan de licenciements… Avoir une seule revendication dans la période, c’est impossible. En cette rentrée, c’est notre utilité aux travailleurs qui est interrogée. C’est ce qui a guidé notre choix d’ouvrir les 500 points contact sur tout le territoire, y compris dans des lieux où on ne nous attend pas. Et à ceux qui s’interrogent…

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